De la haine à l'amour, les Allemands dans le Tour

Le Tour de France 2017 s’élancera le 1er juillet prochain de Düsseldorf en Allemagne, 52 ans après le premier départ outre-Rhin. Depuis Cologne en 1965, le cyclisme allemand a bien évolué. Le Tour, plus grande course cycliste du monde, a participé à cette nette progression. Retour sur 104 années de relations franco- allemandes dans la Grande boucle.

 

Le Tour va fêter sa 104ème édition cette année, et au passage son 4ème grand départ depuis l’Allemagne. Les départs de l’étranger sont légions depuis les années 1950, et de plus en plus de villes étrangères souhaitent accueillir la course. « Le Tour de France représente la fête moderne, populaire et industrielle par excellence », explique Sandrine Viollet*, historienne et spécialiste du Tour de France. Les motivations de Düsseldorf étaient multiples : « devenir "la capitale du vélo" en Allemagne » et « promouvoir la bicyclette comme moyen de transport quotidien en ville », poursuit Sandrine Viollet. Les retombées économiques et les sponsors ont également joué un rôle persuasif.

Mais choisir l’Allemagne comme pays du Grand départ s’inscrit dans une logique de continuité et de réconciliation. Continuité de promotion de la course à l’étranger et de partage de souvenirs et de valeurs. Réconciliation, parce que le passé allemand dans l’épreuve n’est pas tout rose. Retour sur ce passé sous tensions, pas toujours glorieux, mais révolu.

« Prendre sa revanche sur l’Allemagne »

Ça n’a pas très bien commencé pour les Allemands. Le Tour, créé en 1903, avait plusieurs buts, et l’un d’eux étaient de « contribuer à la régénérescence physique et morale de la France face à l’Allemagne », explique l’historien Jean-François Mignot*, spécialiste du Tour de France. La défaite après la guerre de 1870, et la perte de l’Alsace-Moselle ne passent pas. Le Tour passe par ces deux régions en 1906, 1909 et 1919 « pour réaffirmer le sentiment national français ». Le Tour est volontairement hostile aux Allemands. Les deux guerres mondiales renforcent ces tensions, et « les Allemands sont ceux dont il faut se méfier », ajoute l’historien. Dans ce contexte, difficile de comprendre que les Allemands soient encore attirés par une épreuve qui les exclut

Les années 1950-1960 : le rapprochement

Les décennies à suivre leur ont donnés raison. Exit la rancune et l’exclusion, places à l’amitié et à l’ouverture. Les Allemands participent de nouveau à partir de 1955 et le Tour se transforme en un ambassadeur pacifiste. En choisissant des départs à l’étranger, Il fait référence à la politique de construction européenne (la CECA en 1951, la CEE et l’EURATOM en 1957). La signature du Traité de l’Elysée, en 1963, vient enterrer la hache de guerre pour de bon. Deux ans plus tard, le Tour frappe un grand coup en désignant Cologne comme ville de départ de l’édition 1965.

Les raisons de cette décision ? Promouvoir la course outre-Rhin, récompenser les clubs allemands pour avoir fournis de jeunes talents comme Rudi Altig et permettre « une franche réconciliation entre la France et l’Allemagne, nécessaire à la reconstruction européenne », souligne Sandrine Viollet. Les répercussions ? Un grand succès populaire, une Allemagne intégrée dans l’épreuve et une réconciliation des deux pays « autour du sport et des intérêts économiques ». Car l’argent n’est peut-être pas absent du deal, comme le rappelle Jean-François Mignot, « ce sont avant tout des considérations économiques qui déterminent par où passe le Tour ».

Le cyclisme allemand profite de cette dynamique, et l’édition 1966 est la plus prolifique de leur histoire avec 2 victoires d’étapes et 15 étapes pendant lesquelles Rudi Altig et Karl-Heinz Kunde ont successivement porté le maillot jaune. Ce dernier déclarait même sa flamme aux Français « je suis un bon grimpeur et c’est en France qu’il y a le plus de montagne. Et puis voyez-vous, je me plais ici, les gens sont gentils ». Malgré tous ces efforts consentis, les Allemands et le Tour se perdent de vue quelques années... Pour mieux se retrouver.

Les années 1990-2000 : l’âge d’or

Au début des années 1990, un événement symbolique clôt définitivement le passé belliqueux entre les deux pays. «Lors du Tour 1994, quand on commémorait le cinquantenaire du Débarquement en Normandie, au cours de l’étape en Normandie, qui passait par Utah Beach, c’est un coureur allemand, Olaf Ludwig, qui remporte une prime remise par le mémorial du Débarquement», raconte Jean-François Mignot. Cette anecdote a son importance. Le déclic a lieu et entraîne l’éclosion de « deux grandes stars que sont Jan Ulrich et Erik Zabel », explique Benoît Vittek, journaliste sportif spécialiste du cyclisme.

Le premier remporte le Tour en 1997, un exploit inédit pour un Allemand. Le second s’illustre dans un autre registre : remporter 6 fois le maillot de meilleur sprinteur, une première dans l’histoire de la Grande boucle. Ces exploits ont constitué « la grande période du cyclisme allemand dans le Tour », estime Benoît Vittek. La popularité des cyclistes grandit outre-Rhin et « si le Tour passe en Allemagne en 2000, c’est parce qu’il y a beaucoup de fans d’Erik Zabel », confie Jean-François Mignot. « Incontestablement, l'Allemagne et ses champions ont marqué l'Histoire du Tour de France », pour Sandrine Viollet. 

Mais le cyclisme a été touché par un fléau qui le ronge depuis longtemps et qui n’est pas prêt d’être vaincu : le dopage. Les coureurs allemands ne sont pas épargnés, ce qui a de grosses conséquences outre-Rhin : « ça a été un grand coup pour le cyclisme allemand. Ont suivi l’arrêt de la retransmission du Tour par les chaînes publiques et le retrait de l’équipe T-Mobile », que Benoît Vittek qualifie « d’une des plus grosses équipes du peloton » à l’époque.

 

Martin, Kittel, Greipel : porteurs d’un nouveau souffle

 

Pour autant, les jeunes Allemands n’ont pas dit leur dernier mot : « le cyclisme allemand n’était pas mort, il était même extrêmement vivant, ce qui générait de l’attraction et de l’engouement populaire ». Le géant Erik Zabel a fait rêver nombres de petits Allemands puisqu’ « on remarque une très bonne école de cyclisme dans le sprint ; ce sont les meilleurs sprinteurs avec Marcel Kittel et André Greipel », poursuit Benoît Vittek. A ces deux stars s’ajoute Tony Martin, « un des meilleurs rouleur du XXIème siècle ». Grâce à leur performance, ces trois têtes d’affiche ont permis aux Allemands de se réconcilier avec le Tour. Le départ de Düsseldorf en est la preuve.

Tout ça ressemble à un happy end : après avoir été les ennemis numéros 1, les Allemands sont aujourd’hui appréciés. Le Tour, véritable institution sportive, politique, économique, sociale est source de partage entre la France et l’Allemagne. Partage de bons procédés, de souvenirs, de savoir-faire et même environnemental. Qui pourra nier que le Tour a aidé le cyclisme allemand à se développer ? Ce n’est sûrement pas le départ de Düsseldorf qui prouvera le contraire.

 

*Jean-François Mignot est historien et chercheur au CNRS. Il est l’auteur d’une Histoire du Tour de France (éditions La Découverte, Paris, 2014).

 

*Sandrine Viollet est historienne et a réalisé une thèse intitulée « Le temps des masses: le Tour de France cycliste, 1903-2003 » en 2007.